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La démocratie


Article mis en ligne le 26 août 2014
dernière modification le 17 novembre 2014

par webmestre

CONFÉRENCE Alain BEITONE
Complément disciplinaire Sciences sociales et politiques
Jeudi 27 Mars 2014
Lycée Renoir Limoges

Le compte-rendu ci-dessous a été rédigé à partir des notes servant de support à l’intervention et à partir des notes prises par une collègue de l’académie de Limoges (C. Chermain) lors de la journée de formation. L’ensemble a été repris et mis en forme (notamment en complétant les références bibliographiques). Ce texte doit être mis en relation avec la sélection de sites internet diffusée lors du stage et avec le dossier documentaire (recueil de citations).

• Rappel sur les ressources en ligne sur le site Eloge des SES
• Importance des réflexions actuelles sur la pédagogie invisible et sur les malentendus des apprentissages :
http://www.eloge-des-ses.fr/pages/t...
http://www.eloge-des-ses.fr/formati...

 1- Préambule sur la démocratie.

On peut placer cette demi-journée de formation sous l’égide de Durkheim :
« Un peuple est d’autant plus démocratique que la délibération, que la réflexion, que l’esprit critique jouent un rôle plus considérable dans la marche des affaires publiques. Il l’est d’autant moins que l’inconscience, les habitudes inavouées, les sentiments obscurs, les préjugés en un mot soustraits à l’examen, y sont au contraire prépondérants. (…) En même temps que les progrès de la démocratie sont ainsi nécessités par l’état du milieu social, ils sont également appelés par nos idées morales les plus essentielles. La démocratie, en effet, définie comme nous l’avons fait, est le régime politique le plus conforme à notre conception actuelle de l’individu ».
 [1]
Plusieurs points doivent être soulignés dans cette citation. D’une part, il convient de noter le lien fait par Durkheim entre démocratie et délibération. On voit que le thème de la démocratie délibérative n’est pas aussi nouveau qu’on le pense parfois. Ensuite il faut insister sur l’importance qu’accorde Durkheim à la question de l’individu. De ce point de vue la lecture de son article « L’individualisme et les intellectuel » [2] est très éclairante. Durkheim est un défenseur de l’individu et de ses droits. En pleine affaire Dreyfus, répondant à un intellectuel conservateur qui dénonce l’individualisme, Durkheim affirme :
« Non seulement l’individualisme n’est pas l’anarchie, mais c’est désormais le seul système de croyances qui puisse assurer l’unité morale du pays ».
On voit le lien avec la partie du programme de première (Regards croisés) consacrée à la cohésion sociale et avec la partie du programme de terminale consacrée à la question « Quels liens sociaux dans les sociétés où s’affirme le primat de l’individu ? ». Le fil directeur du programme (pour ce qui concerne les parties consacrées à la sociologie et à la science politique » est bien celui du lien social. La démocratie est une forme du lien social (plus précisément du lien politique) qui est fortement liée au primat de l’individu caractéristique des sociétés modernes. C’est pourquoi Durkheim affirme qu’elle est une nécessité liée à l’état du milieu social et une exigence cohérente avec la conception moderne de l’individu.

 2 - Les systèmes politiques en démocratie.

En classe de première, le concept d’Etat de droit est au programme [3]
. Son appropriation par les élèves est importante.
Une définition simple consiste à dire que l’État de droit c’est le droit au droit et le droit au juge. Autrement dit les citoyens peuvent opposer le droit à l’Etat et pour faire respecter ce droit au droit, il doit exister des juges indépendants qui peuvent sanctionner l’Etat lorsqu’il ne respecte pas le droit. C’est en France la mission de la justice administrative. Par opposition à « l’Etat de police », l’Etat de droit est une forme d’Etat où l’action de l’Etat est soumise à des règles contraignantes.
Le concept d’Etat de droit fait l’objet de deux types de débats :

  • D’une part certains juristes ou philosophes considèrent qu’un Etat est nécessairement démocratique. Mais d’autres (comme Dominique Rousseau [4]
    ) considèrent que l’Etat de droit n’est pas lié à des valeurs particulières. L’Etat stalinien et l’Etat nazis étaient caractérisés par une structure juridique très forte (le rôle des juristes nazis a été très important notamment dans l’élaboration de la législation raciste).
  • D’autre part, certains identifient l’Etat de droit à la conception hayekienne de l’Etat minimal et y voient une restriction de la souveraineté populaire. Par exemple en France, ce n’est qu’avec la constitution de 1958 qu’est mis en place un contrôle de la constitutionnalité des lois.
    Régulièrement, certains courants politiques s’indigent de ce que le Conseils constitutionnel puisse s’opposer à des lois votées par la représentation nationale. Cependant, les mêmes courants peuvent à d’autres moments en appeler au Conseil constitutionnel et se réjouir des décisions de ce Conseil qui leur sont favorables. Il faut noter que la saisine du Conseil constitutionnel a été progressivement étendue. En 2008, la mise en place de la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) permet aux justiciables de soulever la question de la constitutionnalité des lois en vigueur.

Une réflexion est donc nécessaire quant à l’articulation des concepts de démocratie et d’Etat de droit d’une part, et l’articulation des concepts d’Etat de droit et d’Etat social d’autre part.

Le concept de « totalitarisme » ou de « régime totalitaire » n’est pas au programme, il ne semble donc pas souhaitable d’entrer dans les débats complexes sur la légitimité et la définition de ce concept . [5]

 3- Comment s'organise la compétition politique en démocratie ?

Point de départ : les sociétés modernes sont caractérisées par la pluralité des conceptions du bien.
Dans les communautés (au sens de F. Tönnies) : les membres de la communauté partagent très largement la même conception du bien. En Occident, on voit émerger cette question à l’occasion de la Réforme protestante. Cette dernière conduit à une sorte de compromis : dans chaque territoire politique la religion qui s’impose est celle du monarque. Cela doit être mis en relation avec la montée des Etats-nations et l’affaiblissement progressif de l’Empire (le Saint-Empire romain germanique). Le schisme anglican repose par exemple sur la non reconnaissance de la suprématie d’un monarque étranger (le pape) et la mise en place d’une église nationale dont le chef est le roi.
Ces violences politico-religieuses conduisent à d’intenses réflexions politiques (les analyses de Locke sur la tolérance ou les prises de position de Voltaire). Les dissidents religieux anglais qui fondent les Etats-Unis vont en tirer la conclusion en instaurant un « mur de séparation » (Th. Jefferson, 1802) entre les églises et l’Etat. Au milieu du XIXe siècle, le Mexique instaure la laïcité, puis la France et la Turquie au début du XXe siècle, l’Inde peu après l’indépendance, la Suède en 2000 font de même. Les débats sur la mise en œuvre de la laïcité montrent bien que la prise en compte de la diversité des conceptions du bien est difficile à concrétiser [6] . De plus, les conceptions du bien ne sont pas seulement de nature religieuse.

C’est notamment cette question que traite John Rawls [7] . Pour ce dernier, il existe une priorité du juste sur le bien, précisément parce que les conceptions du bien sont nécessairement diverses dans les sociétés modernes. Il est donc impossible de fonder l’ordre politique sur une « doctrine compréhensive » particulière. Il faut donc définir des règles de juste conduite qui soient compatibles avec les diverses conceptions raisonnables du bien. Cela conduit à un débat (surtout au sein du monde anglo-saxon) entre les libéraux (qui se situent à gauche de l’échiquier politique aux Etats-Unis) qui défendent une conception universaliste et les communautariens [8] qui considèrent qu’on ne peut pas penser l’individu indépendamment de son appartenance à une communauté, à des valeurs à une conception du bien [9] . Cette tension entre universalisme et multiculturalisme est au cœur de nombreux débats contemporains. Il convient donc de permettre aux élèves de s’approprier les termes de ce débat.

Face à ce pluralisme constitutif des sociétés modernes, comment concevoir la compétition politique et la mise en place d’un ordre politique ?
En simplifiant, on peut trouver dans la pensée politique trois types de réponses :

• La théorie élitiste que l’on retrouve chez des auteurs comme V. Pareto, G. Mosca, ou G. Le Bon [10]. . Seul l’ascendant d’un leader auquel la foule adhère par acclamation et/ou d’une oligarchie caractérisée par ses compétences, peut structurer l’espace politique. Cette approche est sceptique ou hostile à la démocratie [11] .
• Une conception de « démocratie libérale », inspirée par Montesquieu (seul le pouvoir arrête le pouvoir) et par Max Weber, et développée notamment en France par Raymond Aron (« Démocratie et totalitarisme », 1958). Selon ce point de vue, le pouvoir est nécessairement exercé par une minorité (pas de pouvoir du peuple par conséquent), mais il faut mettre en place des règles constitutionnelles qui assurent le pluralisme et la compétition des élites pour l’accès au pouvoir. Cette compétition et l’alternance politique qu’elle implique, permet au peuple de désigner ceux qui gouvernent et constitue une limite face à d’éventuels abus de pouvoir puisque ceux qui gouvernent savent qu’ils seront sans doute dans l’opposition demain.
A propos de M. Weber, on parle parfois de « démocratie plébiscitaire » puisque ce dernier semble considérer que le rôle du peuple se limite à la désignation de ceux qui gouvernent et que seuls les gouvernants peuvent représenter les intérêts supérieurs de la nation ou de l’Etat [12] . On peut considérer que la pratique gaullienne de la Ve république, avec un chef de l’Etat « en charge de l’essentiel » qui vérifie périodiquement par voie référendaire l’adhésion du peuple [13] est assez proche du point de vue wébérien.

• Une conception républicaine inspirée de la république romaine, de Machiavel, de Rousseau, du jacobinisme, pour laquelle il existe une volonté générale qui transcende les intérêts particuliers. Il ne s’agit pas, dans cette perspective, de trouver des compromis entre des intérêts particuliers (éventuellement coalisés), mais de faire prévaloir, sur la base d’une conception exigeante de la citoyenneté, l’intérêt général. Contre la « liberté autonomie » des libéraux, il s’agit de faire prévaloir la « liberté participation » qui suppose l’engagement civique de citoyens soucieux du bien commun. Il existe un développement récent du Républicanisme autour des thèses de Ph. Pettit qui définit la liberté comme non-domination : «  La jouissance de la liberté requiert donc bien plus que la reconnaissance des droits fondamentaux prévue par le libéralisme : en se définissant comme non-domination, la liberté républicaine porte en soi une exigence élevée de justice qui appelle un ensemble de protections publiques allant de la mise en place d’infrastructures et d’un système pénal à la définition d’un régime complet d’assurances sociales. Echapper à la domination privée n’est donc possible que grâce à l’action de l’État : tandis que le libéralisme échoue à concevoir la loi autrement que comme une privation (même nécessaire) de liberté, le républicanisme permet de penser une interférence de l’État dans la vie de ses membres qui ne soit pas l’exercice d’une domination, mais au contraire la constitution de leur liberté  » [14] .


Dans le débat public français (par exemple Régis Debray) on oppose parfois la République à la Démocratie. Cette opposition doit être utilisée avec une grande prudence car les théoriciens du républicanisme défendent le pouvoir du peuple donc la démocratie. Récemment par exemple, Ph. Pettit a soutenu le mouvement des Indignés en Espagne.

 Le concept de citoyenneté est essentiel. La définition souvent donnée selon laquelle le citoyen peut se définir par un ensemble de droits et de devoirs n’est pas satisfaisante. En effet, le sujet d’une monarchie absolue dispose aussi de droits et de devoirs. A la suite notamment de Dominique Schnapper, il faut définir le citoyen comme celui qui détient une part de la souveraineté politique. Ce qui caractérise en propre la citoyenneté démocratique, c’est que le citoyen est co-législateur.

 	4 – Démocratie représentative, démocratie délibérative, démocratie participative

Il y a un certain flou sur ce vocabulaire et des risques de confusion.

La démocratie représentative s’est imposée à partir de l’idée selon laquelle la démocratie directe sur le modèle de l’agora athénienne [15] n’était guère praticable pour des sociétés dotées d’une population nombreuse. Dès lors le peuple souverain exerce son pouvoir à travers des représentants [16] . C’est une démocratie fondée sur la délégation de pouvoir. Les représentants expriment alors l’intérêt général (d’où l’interdiction du mandat impératif) et le débat entre représentants est de nature à éclairer « la représentation nationale ».
B. Manin met en avant quatre caractéristiques de la démocratie représentative [17] :

1/ Ceux qui gouvernent sont choisis par des élections qui ont lieu à intervalles réguliers
2/ Ceux qui sont au pouvoir disposent d’un certain degré d’indépendance dans la prise de décisions politiques pendant qu’ils sont en fonction.
3/ Quoique les représentants aient une certaine liberté de manœuvre dans leurs actes, le peuple ou une partie du peuple conserve pour sa part le droit d’exprimer opinions et griefs, et de faire valoir à tout moment ses revendications auprès des représentants en fonction.
4/ Le dernier principe est que les décisions publiques sont soumises à « l’épreuve de la discussion ».

Cette démocratie représentative apparait à la fois comme un horizon indépassable [18] et comme souffrant de graves difficultés (crise de la représentation) [19] .

C’est dans ce contexte de crise de la démocratie représentative que ce sont développées ces dernières années les débats sur la démocratie délibérative et la démocratie participative.
 Attention ! Ces deux notions ne sont pas synonymes et elles ne s’opposent pas à la démocratie représentative.

Le concept de démocratie délibérative s’est développé notamment à partir des analyses de J. Habermas [20] Ce dernier met l’accent, dans sa réflexion sur le fonctionnement des sociétés, sur l’importance de « l’agir communicationnel ». C’est-à-dire sur des interactions avec autrui fondées sur le langage et sur l’échange public d’arguments fondés en raison. Cette posture, inhérente au recours au langage, suppose une « éthique de la discussion » en vertu de laquelle chaque participant à la discussion est disposé à s’incliner devant la force du meilleur argument. La discussion doit aussi être inclusive, c’est-à-dire ouverte à tous. La volonté des individus d’orienter la discussion vers l’entente, permet précisément de s’accorder sur des règles communes en dépit de la diversité des conceptions du bien. Cela doit être mis en relation avec la réflexion sur les fondements du droit. Pour certains le droit est fondé sur le « droit naturel », c’est-à-dire sur des principes qui ont une origine naturelle et/ou divine. Toute règle de droit, même élaborée dans des institutions démocratiques, qui contrevient au droit naturel, est illégitime [21] .
On voit ce qui pose problème est la définition de ce « droit naturel » qui relève de conceptions du bien différentes [22] .
La seconde attitude est celle du « positivisme juridique » (développée notamment par le juriste allemand H. Kelsen) : dans cette approche, le droit positif est légitime, dès lors qu’il est adopté par une autorité qui détient le pouvoir politique et qui respecte les règles formelles relatives à la production du droit. On le voit, dans cette conception la législation nazie relève du droit positif pour les allemands des années 1930 et 1940. Et, dans un cadre moins dramatique, on devrait se soumettre à tous les textes de loi adopté dans les formes institutionnelles prévues.
Habermas propose de dépasser ce débat par une conception délibérative du droit : une règle de droit est légitime lorsqu’elle résulte d’une délibération politique inclusive. Ce qui implique notamment qu’à tout moment des citoyens peuvent demander à reprendre le débat public sur telle ou telle règle de droit. Il faut donc qu’existe un espace public [23] de délibération et il faut pour cela des citoyens éduqués et éclairés [24] . La démocratie délibérative est donc une composante de toute démocratie représentative authentique, mais elle implique aussi que tous les citoyens participent au débat public, qu’ils participent effectivement aux débats sur la chose publique (Res Publica) et que leur point de vue soit considéré de façon égalitaire.
Pour Y. Sintomer, la démocratie délibérative est un moyen de dépasser l’opposition entre conceptions les conceptions libérales et républicaines de la démocratie.

J. Habermas propose une modélisation intéressante :
On peut considérer que la société est constituée de 3 sphères :

  • celle de l’État et du politique.
  • celle de la vie privée, les droits individuels, du « monde vécu ». Pour que cette sphère existe il faut que les droits civils soient garantis.
  • celle de l’activité économique et du marché.

    Ces trois sphères sont interdépendantes, il y a danger si l’une des sphères tend à s’imposer aux deux autres :
  • La domination de l’Etat comporte un risque de dérive totalitaire où les droits de l’individu sont niés au nom de la supériorité du politique
  • La domination de la sphère privée comporte un risque de repli sur la sphère privée analysée par Tocqueville. Dès lors l’individu ne se comporte plus comme un citoyen engagé dans la délibération pour le bien commun.
  • La domination du marché comporte un risque d’abaissement du politique (pas d’alternative, une seule politique compatible avec les contraintes économiques) et de colonisation du monde vécu par la logique marchande.

Un système politique démocratique implique des règles institutionnelles qui assurent un équilibre entre ces trois sphères. Pour Ph. Pettit, la démocratie délibérative favorise l’équilibre entre les trois sphères.

La démocratie participative suppose la mise en place de procédures qui permettent aux citoyens, en particulier ceux qui sont le plus directement concernés, d’être associés à la conception et à la mise en œuvre des décisions publiques [25] . On connait l’exemple du « budget participatif » mis en place par le Parti des Travailleurs à Porto Alègre au Brésil. Mais il existe d’autres formes très nombreuses : commissions extra-municipales, conseil de quartier, organisation de jurys citoyens, organisations de débats publics au niveau national, association des citoyens et de leurs représentants associatifs aux enquêtes publiques sur les grands évènements [26] . Ce qui caractérise la démocratie participative c’est donc que le citoyen ne se contente pas de désigner périodiquement des représentants qui auraient le monopole de la délibération et de la décision politiques, mais que ce citoyen est partie prenante en permanence de la délibération publique. Cela repose, notamment sur les conceptions élaborées par J. Dewey pour qui les individus directement concernés disposent de savoirs que ne possèdent pas nécessairement les experts. La participation des citoyens ne relève donc pas seulement d’un point de vue normatif sur la participation démocratique, mais aussi d’une volonté d’efficacité et de pertinence de la participation citoyenne pour ce qui concerne la prise de décision.
Récemment (notamment depuis les émeutes de 2005) un certain nombre de chercheurs ont importé dans le débat français le concept d’empowerment (appropriation ou réappropriation du pouvoir) [27]
appliqué en particulier à la politique de la ville.
L’idée est que, l’une des réponses à la crise sociale et urbaine est de faire en sorte que les individus directement concernés (habitants des quartiers populaires) se réinvestissent dans le débat public, ce qui suppose que l’on crée les conditions politiques et institutionnelles pour qu’ils prennent ou reprennent du pouvoir sur leur espace de vie. Il faut une politique délibérée de transfert de capacité de gestion et d’organisation à la population. Par exemple, en matière de rénovation urbaine, si on transfère des pouvoirs sur la gestion des immeubles à la population, on va modifier leur relation à la vie civique.

Cette volonté d’ancrer la participation citoyenne sur des enjeux précis (locaux mais pas seulement) peut contribuer à minimiser le risque de voir la démocratie délibérative monopolisée par des classes moyennes habituées au recours au langage argumentatif. Dans ce cas, la démocratie délibérative risque de ne pas faire une place suffisante aux groupes sociaux les plus défavorisés.

On voit donc que la démocratie participative et la démocratie représentative sont complémentaires [28]
. On voit aussi qu’il existe un « impératif délibératif » (Y. Sintomer) qui concerne aussi bien la démocratie représentative que la démocratie participative.

Les thèmes qui suivent ont été traités de façon plus cursive au cours de la demi-journée de formation

 5 - Le concept d'action publique :

Le concept d’action publique apparait dans le programme de première, on le retrouve dans le programme de l’EDS Sciences sociales et politiques de terminale. Ce concept d’action publique doit donc être maîtrisé par les élèves. Il faut souligner que pendant longtemps, dans les programmes de SES, seule la politique économique était étudiée à partir des concepts de la science économique. L’une des innovations du nouveau programme est, tout en maintenant l »’étude traditionnelle de la politique économique, d’introduire la grille de lecture sociologique de l’action publique [29] .
Le choix du terme action publique est par lui-même significatif. En rupture avec l’approche juridique des politiques publiques, qui considèrent que ces dernières sont la mise en œuvre de décisions prises par une autorité hiérarchique, la sociologie considère que l’action publique est la résultante de l’action d’acteurs publics (qui ne sont pas unifiés [30] ) et d’acteurs privés (associations, médias, syndicats, groupe de pression, etc. [31] ).

Il importe donc de montrer aux élèves comment se construisent les problèmes publics, comment ces problèmes publics sont inscrits (ou pas) à l’agenda politique, comment des référentiels de politiques publiques se construisent portés par des communautés de politiques publiques. Le livre de Patrick Hassenteufel [32] comporte de très nombreux exemples (politique du prix unique du livre, politique de sécurité routière, politique en matière de délinquance des mineurs, etc.). On peut retrouver ici le rôle de société civile organisée (par exemple en matière de lutte pour les droits des femmes) et le rôle des experts (en matière de politique climatique ou de politique énergétique par exemple). Tous ces problèmes sont utilement interprétés en termes d’interactions entre des acteurs collectifs.

 6 - Contribution des organisations politiques au fonctionnement de la démocratie :

Les organisations politiques, et en premier lieu les partis politiques [33] jouent un rôle essentiel en matière de mobilisation politique (et en particulier de mobilisation électorale) : la participation des citoyens ne va pas de soi. Les partis politiques ont une fonction de politisation. Le concept de systèmes de partis [34] occupe une place importante dans la réflexion des politistes aujourd’hui. Les partis politiques ont donc un rôle essentiel dans le fonctionnement de la démocratie (ce qui ne va pas de soi sans doute pour les élèves), mais il y aujourd’hui une crise de la « forme parti », qui peut être mise en relation avec les discussions sur la crise des institutions et la crise du syndicalisme.
La réflexion sur les partis politiques doit être mise en relation avec la société civile organisée. La société civile se situe en dehors de l’Etat. Mais on voit bien que cette société civile organisée vise souvent à agir sur les politiques publiques (syndicats, associations). Les groupes d’intérêt, qui sont mentionnés dans le programme, font partie de la société civile organisée. Il faut mettre en garde les élèves contre le sens souvent péjoratif qu’ont en France les termes « groupe de pression » ou « groupe d’intérêt ». Dans la conception libérale pluraliste, la confrontation des divers intérêts dans l’espace politique est non seulement légitime, mais elle est nécessaire. Au demeurant le mot « intérêt » doit être pris au sens large : il ne s’agit pas seulement des intérêts économiques, mais aussi des valeurs (en ce sens les associations de défense de l’environnement et les associations antiracistes sont des groupes d’intérêt).

 7 - La participation politique : la question de la culture politique et des répertoires d'action politique

La culture politique est synonyme de culture civique [35] Les élèves maîtrisent la notion de culture. Ici la culture politique est constituée des normes et comportement produits par la socialisation politique et conduisant aux comportements politiques.
La culture politique a deux composantes :

  • elle désigne les normes et valeurs à l’égard de la chose publique (dans une culture donnée, il y a des comportements politiques attendus),
  • elle concerne la connaissance des partis politiques, des institutions politiques,.., les savoirs politiques.
    Ces deux composantes sont interdépendantes.
    Le concept de répertoire d’actions politiques [36] conduira à présenter aux élèves la distinction entre participation politique conventionnelle et participation politique conventionnelle. Les réflexions sur l’émergence d’un nouveau répertoire d’action collective, peut être utilement rapproché des réflexions sur les nouveaux mouvements sociaux [37].

 8 - Le comportement électoral :

La réflexion sur le comportement électorale (y compris l’abstention) est évidemment essentielle [38].
Il n’y a pas lieu d’opposer les « variables lourdes » [39] et l’approche individualiste du vote. En effet, les auteurs qui s’inscrivent dans la tradition des variables lourdes prennent en compte l’affaiblissement de l’identification partisane, la plus grande volatilité électorale, le vote sur enjeu. Réciproquement, les auteurs qui, à la suite de Raymond Boudon, raisonnent en termes de choix individuels rationnels, insistent sur l’importance de la rationalité axiologique et la rationalité située (l’acteur social n’agit pas dans un vide social).

 9 - l'Europe :

 [40]

La réflexion sur l’ordre politique européenne dans l’EDS science politique doit être mise en relation avec l’analyse économique de la construction européenne qui figure dans le programme de l’enseignement spécifique. Il ne faut se perdre dans le détail des descriptions institutionnelles européennes [41] .
L’important est de problématiser en montrant que le processus d’intégration économique (renforcé depuis la crise de la zone euro) pose la question du degré de fédéralisme au sein de l’Union européenne et de la zone euro. Si l’alternative est bien, selon le titre d’un livre de M. Aglietta : « fédéralisme ou éclatement », quelle est la traduction institutionnelle et politique du choix d’un renforcement du fédéralisme. Cela pose aussi la question du principe de subsidiarité (puisqu’il s’agit en fait comme dans le cas de l’Union bancaire de transférer des compétences à un niveau supranational). Une autre question important concerne la légitimité démocratique des institutions européennes (et en particulier le rôle du parlement).